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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/214

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Et puis à pas de pantalon,
Me frappant le cul du talon,
Je suis venu vers vous, mes braves.
Faites de moi des choux ; des raves,
Tuez-moi, ne me tuez pas :
Dans la vie et dans le trépas
Je trouverai mon avantage,
Pourvu qu’en ce maudit rivage,
Je ne serve point d’aliment
A ce détestable gourmand."
Comme il contait son aventure,
Cette effroyable créature,
Ce prodigieux animal,
Dont il avait dit tant de mal,
Parut au haut d’une colline
Avec sa taille gigantine :
Chacun de nous crut voir marcher
Quelque mont ou quelque rocher.
Il s’en venait vers le rivage,
Le très mal plaisant personnage,
Gros, mal bâti, sale, velu,
Et n’avait qu’un oeil, le goulu,
Et duquel il ne voyait goutte,
Ce qui le fâchait bien sans doute.
Un grand pin servait de bâton
A ce Polyphème glouton,
Et pourtant il pliait encore,
Tant pesante était la pécore,
Et portait pendu, le grand fou,
Un grand jeu d’orgues à son cou,
Qui lui servait de cornemuse.
Une grande troupe camuse
De brebis venait après lui,
Dont il soulageait son ennui,
Depuis qu’Ulysse d’une pique
Avait éventé son optique.
Ce loup, plutôt que ce berger,
Qui savait les hommes manger,
Bien mieux qu’aucun qui fût au monde,
Entra jusqu’aux genoux dans l’onde,