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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/254

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Et je m’attends aux accidents
Qui viennent d’ongles et de dents.
Elle aura beau faire la belle,
Si partirai-je en dépit d’elle,
Me dût-elle sauter aux yeux,
Lorsque nous ferons nos adieux.
Comment ferai-je ? que dirai-je ?
Et par où le commencerai-je,
Ce malencontreux compliment ?
Par ma foi ! je ne sais comment.
Qui pourrait changer la corvée,
Contre quelques coups d’escourgée !
Ou que ne suis-je déjà loin,
Avec dix mille coups de poing ! "
Ainsi parla messire Enée,
Et sa troupe bien étonnée,
Et pourtant aise de partir,
Lui promit tout, sans repartir.
Mais leur clandestine entreprise
A Didon fut bientôt apprise,
Soit que la dame s’en doutât,
Ou que la chose on lui contât.
Qui pourrait tromper une amante ?
Elle était un peu véhémente,
Et voulait ce qu’elle voulait
Quatre fois plus qu’il ne fallait ;
Mais, quand un nigaud lui vint dire,
Dont il n’eut pas sujet de rire,
Car le menton on lui pela,
Lorsque la chose il révéla ;
Quand donc on avertit la dame
Que de la moitié de son âme
On l’allait bientôt séparer,
Qu’Aeneas faisait préparer
Sa flotte comme un infidèle,
Sans se soucier beaucoup d’elle,
Alors la pauvre femme, alors
Malade d’esprit et de corps,
Devint tout à coup la figure
Du visage et de la posture