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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/282

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Sire Aeneas dans son vaisseau ?
Il me fera jeter dans l’eau.
Dieu sait avec quelle huée
Des soldats je serais jouée,
Puisque tel maître, tel valet !
Ah ! c’est un étrange poulet,
Qui ne vaut pas qu’on le regarde.
De telles gens le ciel nous garde !
Tout ici-bas s’en va gâté,
Faute d’honneur et loyauté.
Mais je veux bien que j’y consente,
Que j’aille comme une innocente
Lui dire Revenez à moi ;
Il ferait trop du quant-à-moi,
Il me ferait couper ma jupe.
Ma foi ! je ne suis pas si dupe :
Il faut bien mieux s’en ressentir.
Désolée infante de Tyr,
De l’amour qui te rend si hâve,
Serais-tu tellement esclave,
Et manquerais-tu tant de cœur
Que d’aller trouver ce moqueur,
Le prier de te faire grâce ?
Souviens-toi plutôt de sa race ;
Souviens-toi de Laomédon,
Trop crédule dame Didon.
Va-t’en plutôt à main armée,
De ton désespoir animée,
Fondre, avec tous tes Tyriens,
Sur Enée et sur ses Troyens.
Hélas, qu’est-ce que je veux faire
Contre un si vaillant adversaire ?
Ses gens frappent comme des sourds,
Loups, dogues, lions, tigres, ours.
Ta nation lâche et perfide
Voudra-t-elle suivre son guide ?
J’eus peine à les faire partir
Lorsque je me sauvai de Tyr,
Et cette maudite canaille,
N’allant pas pour faire ripaille,