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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/351

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Elle aurait eu corrosion
Par la trop longue friction,
Et s’aurait fait mal à la croupe.
Etant donc ainsi, vent en poupe,
Descendue au travers des airs,
Avec un dessein fort pervers,
Sur la rive trinacrienne,
Elle vit la flotte troyenne
Et tout le peuple phrygien
Qui lors ne s’enquêtait de rien,
Et qui laissait sur sa parole
La flotte au port, action folle :
Leurs femmes faisaient bande à part,
Se tenant loin d’eux à l’écart,
Et faisant sur la mort d’Anchise,
Comme on dit, une mine grise,
Non sans pester de leurs malheurs,
Avec grands cris, avec grands pleurs :
"Serons-nous toujours dessus l’onde,
Et le rebut de tout le monde ? "
Disaient les unes en pleurant.
Les autres disaient en jurant :
"N’aurons-nous jamais une ville ;
Et notre Aeneas, tant habile,
Ne veut-il jamais s’arrêter
Sans nous faire toujours trotter ? "
Iris, voyant tant de murmure,
Quitta sa divine figure,
Et se travestit à l’instant,
Prenant un corps tout tremblotant,
Bâton en main, aux yeux besicle,
Et se fit femme de Dorycle,
Vieille barbue, et qui comptait
Cent ans, et point ne radotait,
Ains était femme bien sensée,
Quoique de vieillesse cassée :
A propos, j’avais oublié
Qu’elle s’appelait Béroé,
De famille fort ancienne,
Et de nation rhétienne