Page:Schœlcher - Le procès de Marie-Galante, 1851.djvu/28

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la population en présence d’une telle atteinte à la liberté individuelle ? Comment ! des électeurs sont réunis : aux invitations qu’on leur fait de déposer leurs votes, ils répondent unanimement « que pour voter ils attendent l’arrivée de leur chef » (Réquisitoire du procureur général), et quand ce chef, c’est-à-dire l’homme investi de leur confiance paraît, on l’arrête ! pourquoi ? Parce qu’il distribue, dans le plein exercice de son droit, des bulletins de vote et déchire, sur la présentation des cultivateurs, ceux que le maire, fort illégalement, leur avait fait distribuer ! Viendra-t-on dire qu’il usait de fraude, de violence ? Impossible. N’a-t-on pas avoué que les nègres l’attendaient ? dès lors, n’est-ce pas sur leur demande directe qu’il change leurs bulletins ? Est-il rien de plus innocent, de plus constitutionnel ? Est-il dès lors rien de plus coupable que de le garroter sous les yeux mêmes de ses amis, malgré son offre de se rendre avec un seul gendarme près de l’autorité compétente ? En vérité ! en fallait-il davantage pour porter le trouble parmi les cultivateurs ? Non, certes, et l’accusation l’a reconnu elle-même en disant que « l’arrestation de Germain devait inévitablement trouver une résistance bien forte de la part des noirs. » Si un pareil fait se passait en France, l’opinion publique le flétrirait comme un scandaleux abus de pouvoir. Aussi quand le procureur général, M. Rabou, s’efforce de justifier la conduite de M. Bonneterre, il en est réduit à s’appuyer sur les dépositions de ce maire et sur celle de M. Desondes, infirmées, comme on l’a vu, par les réponses aussi nettes, aussi catégoriques qu’invariables du gendarme Caire et du garde-champêtre Bacot. Prétendra-t-on que ces deux témoins ont atténué les faits ? Dans quel but ? On doit, au contraire, non pas s’étonner de leur sincérité ; mais l’admirer ; il leur a fallu beaucoup de conscience et de courage pour soutenir la vérité ; leur intérêt, en raison de leur position tout à fait dépendante, aurait pu les entraîner à ne pas contredire d’une manière aussi formelle les assertions d’un maire blanc et celles de l’accusation. Leur position inférieure même augmente le poids de leurs déclarations, qui restent acquises au citoyen François Germain.