Page:Schœlcher - Le procès de Marie-Galante, 1851.djvu/78

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oublie-t-on que les sanglantes catastrophes de ce magnifique établissement n’ont été que la conséquence des mêmes passions que l’on protège et du système politique que l’on semble vouloir adopter pour nos colonies ? Ce ne saurait être en inspirant des craintes aux affranchis sur leur liberté, que l’on peut espérer rétablir la tranquillité. Quelle est donc la situation intermédiaire dont on parle ? Comment ! c’est au moment même où l’on proclame, du haut de la tribune, faussement, par malheur, mais aux applaudissements des feuilles modérées, qu’il n’y a plus de classes aux Antilles, qu’on n’y trouve plus que des citoyens, que le rédacteur des Débats « attend un ensemble de mesures propres à faire des esclaves de la veille des citoyens du lendemain ! » Est-il possible de pousser l’aveuglement plus loin ?

« Ce n’est donc pas assez d’avoir placé la Guadeloupe sous le régime de la dictature militaire et de livrer ainsi en suspects les hommes de couleur aux rancunes des agents de l’oligarchie coloniale, il faut encore organiser la dépendance du cultivateur de la canne. Où s’arrêtera-t-on dans cette voie ? Qu’on y songe ! sur une population de cent vingt mille habitants, la Guadeloupe comptait, avant l’abolition, quatre-vingt-dix mille esclaves. Avec quelles forces comprimerait-on les résistances des nouveaux citoyens, justement jaloux de leurs droits ? Les Anglais ont été obligés d’abréger le temps de l’apprentissage qui devait précéder la libération générale dans leurs colonies ; par quels moyens réussirait-on à rétablir dans les nôtres une situation intermédiaire succédant à la liberté ?

« Au nom de quoi, d’ailleurs, la France républicaine imposerait-elle le servage aux travailleurs coloniaux, après avoir décrété le droit commun ? Du jour où une œuvre de cette nature serait tentée, les colonies seraient à jamais perdues, et, nous ne craignons pas de le dire, le pouvoir qui en prendrait l’initiative encourrait la lourde responsabilité du sang versé.

« Nous ne voulons pas croire que les vœux du Journal des Débats soient exaucés. Mais si de nouveaux malheurs désolaient nos colonies, c’est aux auteurs de pareilles théories qu’il faudrait s’en prendre. Les prétendus complots des hommes de couleur disparaissent aujourd’hui devant cette incroyable manifestation des sentiments qui animent les adversaires de l’affranchissement. En effet, on accuse sans preuves les noirs et les mulâtres de rêver à l’extermination des blancs, et, à Paris même, les organes des anciens maîtres conspirent hautement contre la liberté des émancipés ! Nous n’ajouterons rien de plus ; nous prenons simplement acte de la demande des Débats. »