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on ne peut se refuser à y croire. L’œil ne rencontre-t-il pas partout l’emblème de la débauche, le Linga ? Son caractère est tracé sur les fronts ; on le porte suspendu au cou, il est sculpté sur les murs de toutes les pagodes, exposé sur la voie publique ; il s’étale dans les airs[1], il est célébré dans les livres du peuple. Il y a un Pourâna entier rédigé en son honneur, et qui porte son nom, Linga-Pourâna. Le mythographe y raconte l’origine de ce culte ; l’histoire est trop obscène pour pouvoir être rapportée[2]. Elle ressemble beaucoup, pour la mise en scène, à celles de Mars et de Vénus, d’Acis et de Galathée, surpris par Vulcain et par Polyphème. La morale des Grecs et des Romains était absolument au même niveau que celle des Hindous. Eux aussi étaient partis du naturalisme, et les résultats auxquels ils arrivèrent sont identiques, pour le fond et très-souvent aussi pour la forme, à ceux où sont arrivés leurs coreligionnaires de l’Inde. Partout les dieux ont cessé de veiller à la prospérité de leurs adorateurs ; ils ne veillent plus qu’à la vengeance[3]. Si nous avions les hymnes orphiques et les fescennins, nous verrions que les faunes et les devins de ces temps-là étaient aussi près de la nature que les dêvâs et les rishis de l’époque védique. La seule différence, c’est que le naturalisme des Grecs et des Romains prit tout d’abord des allures plus libres, un essor plus rapide, et que, par suite, il atteignit longtemps avant celui des Hindous les sommets de la poésie de Saturne, les Saturnales. Aussi fut-il dévoré plus tôt.

Arrêtons-nous ici. La société a ses abîmes, ses mystères d’infamie qu’il n’est ni bon ni utile de sonder et de révéler. Personne n’y puise des enseignements salutaires ; bien au contraire. La nature humaine est ainsi faite que le laid a pour elle des charmes auxquels elle ne sait guère résister, qui la corrompent et pervertissent par la terreur qu’ils lui inspirent. On dit que Louis XV aimait à contempler des cadavres, c’est-à-dire la mort sous sa forme la plus hideuse et la

  1. Le haut de la pagode de Haddol, par exemple, non loin de Goa, en a la forme (Anq.-Dup., ouvr. cit., i, i, ccxvi).
  2. Les Hindous n’ont pas de poésie érotique proprement dite. Car il est impossible de donner ce nom à des poésies où l’amour apparaît toujours sous la forme la plus cynique, et avec un langage qui, si on le traduisait fidèlement, révolterait la pudeur la moins scrupuleuse. Les poésies de ce genre qui peuvent se lire appartiennent à l’école persane.
  3. Taciti Hist., i, 3.