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Page:Schoonbroodt - Une petite bourgeoise, 1916.djvu/24

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Hector. — Mais, Madame, je n’ai pas mes musiques…

Madame Ramelin. — Voyons, Hector… voilà que vous faites des façons, à cette heure. Lorsque votre père était encore basse à la « Légia », en voilà un qui n’avait pas peur de se produire en public.

Monsieur Ramelin (péremptoire). — Hector, chante-nous Les Beaux Canotiers de la Meuse.

Le jeune homme se plante au milieu de la pièce, derrière une chaise, comme un avocat à la barre. Il s’arc-boute sur les talons. Aussitôt, les veines du cou se congestionnent, les yeux flamboient et s’injectent de sang, les mains tremblent sur le dossier de la chaise où elles se cramponnent, le nez se pince et blanchit, et de la gorge du chanteur… ou du fond de la cave, monte une voix voilée et caverneuse, une voix de bedeau qui chante le « Miserere ».

Le nez dans sa partition des petits oiseaux, Émerance fait de louables efforts pour ne pas pouffer de rire. Madame Brayant reste figée d’une subite terreur.

Et pendant que cette scène se déroule à l’intérieur, dans la petite rue déserte et triste, les Dumortier s’en vont comme une armée qui marche en déroute. On est silencieux. Madame, le chapeau en bataille, allonge le pas de toute la largeur de sa jupe. Jean s’enivre enfin du parfum d’une cigarette blonde.

On arrive à la vieille maison.

Madame Dumortier (à son fils). — Jean, vous avez été on ne peut plus inconvenant. Vous serez privé de dimanche !

Monsieur Dumortier rentre chez lui le dos courbé.