Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/175

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amis qui l’entouraient : « Aurais-je dit par hasard une sottise ? » (Plutarque, Apophtegmes). Pour des raisons opposées, une gloire destinée à durer mûrira très tard, et ses siècles d’existence doivent le plus souvent être achetés au prix des applaudissements des contemporains. Ce qui est destiné à jouir d’une si durable estime doit avoir, en effet, une perfection difficile à atteindre ; pour la discerner, il faut des têtes comme on n’en trouve pas toujours, au moins en nombre suffisant pour se faire entendre ; tandis que l’envie, qui jamais ne sommeille, fera son possible pour étouffer leur voix. Par contre, des mérites médiocres, vite reconnus, courent danger que leur possesseur survive à eux et à lui-même ; ainsi il expiera la gloire de sa jeunesse par l’obscurité de sa vieillesse. Avec de grands mérites, on restera longtemps obscur, mais on jouira dans sa vieillesse d’une gloire resplendissante. Celle-ci même ne dût-elle se produire qu’après la mort, on sera alors du nombre de ceux dont Jean-Paul a dit que l’extrême-onction est leur baptême, et on se consolera avec les saints, qui ne sont canonisés qu’après leur trépas. C’est la confirmation de ce que Mahlmann a très justement dit dans son Hérode :

Je pense que ce qui est vraiment grand dans le monde
Est toujours ce qui ne plaît pas aussitôt ;
Et celui que la populace consacre Dieu,
Ne se dresse sur l’autel que peu de temps[1].

  1. « Ich denke, das wahre Grosse in der Welt
    Ist immer nur das, was nicht gleich gefällt.
    Und wen der Pöbel zum Gotte weiht,
    Der steht auf dem Altar nur kurze Zeit ».. »

    Ces vers sont tirés de l’acte II, scène vii, d’Hérode devant Bethléem (1803), parodie spirituelle du drame larmoyant de Kotzebue, Les Hussites devant Naumbourg. Siegfried-Auguste