Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/177

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exigent du lecteur beaucoup d’effort personnel ; aussi leur public est-il excessivement restreint, et leur gloire s’étend beaucoup plus en longueur qu’en largeur. Au demeurant, la gloire se comporte, par rapport à la possibilité de sa durée, à peu près au rebours de la façon dont elle se comporte par rapport à la possibilité de sa venue rapide. La série antérieure vaudrait donc dans l’ordre opposé ; mais alors poètes et compositeurs, vu la possibilité de l’existence éternelle des œuvres écrites, viendraient se placer sur le même rang que le philosophe, tandis que la première place appartient à celui-ci, à cause de la rareté beaucoup plus grande des travaux dans cette branche, de la haute importance de ceux-ci, et de la possibilité de leur traduction presque parfaite dans toutes les langues. Parfois même la gloire des philosophes survit à leurs œuvres : c’est le cas de Thalès, Empédocle, Héraclite, Démocrite, Parménide, Épicure et autres.

D’autre part, les œuvres qui servent à l’utilité, ou même, indirectement, au plaisir sensible, n’éprouvent aucune difficulté à se faire apprécier à leur valeur. Un excellent pâtissier ne restera jamais longtemps obscur dans aucune ville, et n’aura donc pas besoin d’en appeler à la postérité.

Dans la gloire rapide il faut compter aussi la fausse gloire, c’est-à-dire la gloire artificielle d’une œuvre mise en réputation par des louanges injustifiées, de bons amis, des critiques achetés, des indications d’en haut et des accords d’en bas, le tout escomptant à bon droit le manque de jugement de la foule. Cette gloire ressemble aux vessies à l’aide desquelles on apprend à un corps pesant à nager. Elles le portent plus ou