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Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/179

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a fleuri et régné dans la république des lettres allemande, au point que même les rares adversaires de cette folie n’osaient parler de son véritable instigateur que comme d’un génie peu commun et d’un grand esprit, et avec les plus profondes révérences. Mais on ne manquera pas de tirer la conséquence. Cette période restera donc à jamais, dans l’histoire littéraire, une tache ineffaçable pour la nation et pour l’époque, et fera l’objet de la raillerie des siècles futurs. À juste titre ! Les époques, comme les individus, sont libres de louer le mauvais et de mépriser le bon ; mais la Némésis atteint celles-là comme ceux-ci, et la cloche infamante ne cesse de retentir. Au temps où un chœur de gaillards vendus entonnait systématiquement la gloire de ce philosophastre qui corrompait les cerveaux de son misérable radotage, on aurait déjà dû voir immédiatement, par la nature de ces louanges, — si l’on avait eu en Allemagne quelque délicatesse, — qu’elles découlaient d’un dessein prémédité, et non d’un examen sérieux. Elles se déversaient torrentueusement vers toutes les régions terrestres, jaillissaient partout de larges bouches, sans conditions, sans arrêt, sans mesure, jusqu’à ce que les mots vinssent à manquer. Et non contents de leur propre péan à voix multiples, ces claqueurs organisés recherchaient encore minutieusement chaque petit grain d’éloge étranger intègre, pour le ramasser et l’élever bien haut. Qu’un homme célèbre se laissât arracher, à force de compliments ou par ruse, un petit mot d’approbation, ou que ce mot lui échappât par hasard, ou même qu’un adversaire adoucît ainsi, par timidité ou par compassion, son blâme, — tous alors de s’élancer pour le ramasser, afin de le