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Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/84

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répond exactement à l’idée à exprimer, tandis que l’autre ne la représente qu’assez vaguement et en général, mais compte trois lettres de moins, il s’empare sans hésiter du dernier et se contente pour le sens de l’ « à peu près ». Sa pensée n’a que faire de ces finesses, puisque la chose s’effectue en bloc. Mais avant tout, peu de lettres ! C’est en cela que consistent la brièveté, la force de l’expression, la beauté de la langue. A-t-il à dire, par exemple : « Cela ne se trouve pas », il dira : « Cela n’est pas là », à cause de l’économie de lettres. Leur maxime par excellence est de sacrifier constamment la propriété et l’exactitude d’une expression à la brièveté d’une autre, qui doit servir d’équivalent. Il s’ensuit qu’ainsi naîtra forcément peu à peu un jargon des plus fades et finalement inintelligible ; de sorte que l’unique supériorité réelle que la nation allemande possède sur les autres nations européennes, sa langue, sera stupidement anéantie.

La langue allemande est en effet la seule dans laquelle on puisse écrire presque aussi bien qu’en grec et en latin, éloge qu’il serait ridicule d’adresser aux autres langues principales de l’Europe, qui ne sont que des patois. Voilà pourquoi l’allemand a, comparé à celles-ci, quelque chose de si noble et de si élevé. Mais comment le pachyderme en question aurait-il le sentiment de la tendre essence d’une langue, de ce matériel précieux et souple livré aux esprits qui pensent, en vue de pouvoir accueillir et conserver une pensée exacte et délicate ? Compter des lettres, à la bonne heure ! Voilà une occupation digne de pachydermes ! Aussi voyez comme ils se vautrent dans le massacre de la langue, ces nobles fils du « temps présent » ! Regardez-les seu-