Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/11

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qu’à s’en prendre à soi, si, plus tard, il apprend à ses dépens, par les grands traits, à connaître ledit caractère. En vertu du même principe, il faut rompre immédiatement aussi, ne fût-ce que pour des bagatelles, avec les soi-disant bons amis, s’ils révèlent un caractère ou perfide, ou méchant, ou bas, afin d’éviter leurs mauvais tours sérieux, qui n’attendent qu’une occasion de se produire sur une plus vaste échelle. Disons-en autant des domestiques. On doit toujours se répéter : « Mieux vaut vivre seul qu’avec des traîtres ». C’est parler d’or ; malheureusement, ce n’est d’ordinaire que quand il est déjà tard, que l’on prend à l’égard des « amis » gênants ou dangereux cette résolution si salutaire.

Le droit et la politique sont un chapitre de la morale, en théorie du moins, car, dans l’application, il faut trop souvent en rabattre. À ce double point de vue aussi les idées de Schopenhauer étaient en opposition décidée avec les idées de son époque. Après que Hegel fut parvenu à convaincre l’Allemagne, pour un laps de temps assez long, de la divinité de l’État, la révolution de 1848 vint soudainement donner un étrange démenti à ce dogme nouveau.

L’idée de la souveraineté populaire se substitua à celle de l’État omnipotent. Schopenhauer, qui prenait au sérieux les problèmes sociaux, comme tous les autres, n’entendait être dupe en aucun sens : de là ses idées relatives au droit et à la politique. Résumons-les rapidement, telles qu’il les expose surtout dans son grand ouvrage.

Tous les êtres individuels ont un don commun, la raison. Grâce à elle, ils ne sont pas réduits, comme les bêtes, à ne connaître que le fait isolé ; ils s’élèvent à la notion abstraite de l’ensemble et de la liaison des parties de cet ensemble. Grâce à elle, également, ils ont vite su remonter à l’origine des douleurs qui sont le fond de la vie humaine, et ils ont aperçu le moyen de les diminuer, sinon de les supprimer. Ce moyen, c’est un sacrifice commun, compensé par des avantages communs supérieurs au sacrifice. En effet, si, le cas échéant, il est agréable à l’égoïsme de l’individu de commettre une injustice, son plaisir a, d’autre part, un cor-