Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

au lieu de rester orienté du côté actif ; cette notion opère donc une conversion.

Voilà, d’après notre philosophe, la raison de certaines doctrines étranges sur ce sujet, comme celle qui affirme que l’État est un moyen de nous élever à la moralité, qu’il nait d’une aspiration à la vertu, que, par suite, il est dirigé contre l’égoïsme ; ou celle qui fait de l’État la condition de la liberté, au sens moral du mot, et, par là même, de la moralité. Rien de cela n’est vrai. L’État, né d’un égoïsme bien entendu, d’un égoïsme qui s’élève au-dessus du point de vue individuel pour embrasser l’ensemble des individus, ne vise nullement l’égoïsme, mais seulement les conséquences funestes de l’égoïsme. Il ne se préoccupe pas davantage de la liberté au sens moral, c’est-à-dire de la moralité : par sa nature même, en effet, il ne peut interdire une action injuste qui n’aurait pas pour corrélatif une injustice soufferte.

Quant à la doctrine du droit selon Kant, où la construction de l’État se déduit de l’ « impératif catégorique », et n’est pas seulement une condition, mais un devoir de moralité, Schopenhauer la rejette plus complètement encore.

La politique tire de la morale sa théorie pure du droit, c’est-à-dire sa théorie de l’essence et des limites du juste et de l’injuste ; après quoi elle s’en sert pour ses fins à elle, fins étrangères à la morale ; elle en prend la contre-partie, et là-dessus elle édifie la législation positive, y compris l’abri destiné à la protéger ; bref, elle construit l’État. La politique positive n’est donc que la doctrine morale pure du droit renversée.

Tel est le fond de la doctrine de Schopenhauer sur le droit, la politique et l’État. Dans son grand ouvrage, il traite la matière avec toute la tenue et le sérieux qui conviennent à un exposé général d’idées tel que celui auquel il se livre. Dans les pages du présent volume, il déploie plus d’humour et de fantaisie, entre davantage dans les détails, et aborde certaines questions très intéressantes qu’il n’avait même pas effleurées jusque-là.

La première de ces questions est celle du luxe, dont le