Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/156

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puisse facilement provoquer la mort, cela résulte du fait que notre bonheur et notre malheur dépendent seulement du rapport proportionnel entre nos exigences et notre situation matérielle. En conséquence, les biens que nous possédons, ou sommes sûrs de posséder, ne nous apparaissent pas comme tels, parce que toute jouissance n’est en réalité que négative, et n’a d’autre effet que de supprimer la douleur ; tandis que, au contraire, la douleur (ou le mal) est réellement positive et sentie directement. Avec la possession, ou la certitude de celle-ci, nos prétentions s’accroissent immédiatement et augmentent nos désirs d’une possession nouvelle et de perspectives plus larges. Mais si l’esprit est déprimé par une infortune continuelle, et nos exigences rabaissées à un minimum, les événements heureux imprévus ne trouvent pas de terrain où prendre pied. N’étant neutralisés par aucune exigence antérieure, ils agissent maintenant d’une manière qui semble positive, et, par conséquent, avec toute leur force ; ils peuvent ainsi briser l’âme, c’est-à-dire devenir mortels. De la les précautions connues que l’on prend pour annoncer un événement heureux. D’abord on le fait espérer, puis chatoyer aux yeux, ensuite connaître peu à peu et seulement par portions ; car chaque partie, ainsi précédée d’une aspiration, perd la force de son effet, et laisse place à plus encore. On pourrait donc dire que notre estomac n’a pas de fond pour le bonheur, mais qu’il a une entrée étroite. Cela ne s’applique pas de même aux événements malheureux soudains ; l’espérance se cabre toujours contre eux, ce qui les rend beaucoup plus rarement mortels. Si la crainte, en matière d’événements heureux, ne rend pas