Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/170

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qui se lit infiniment plus fréquemment sur le visage des pauvres que sur celui des riches.

Examinez ensuite le marchand sensé, réfléchi, qui passe sa vie à spéculer, exécute avec prudence des projets très audacieux, fonde sa maison, pourvoit aux besoins de sa femme, de ses enfants et de ses descendants, et prend aussi une part active à la chose publique : il est manifestement beaucoup plus conscient que le précédent, c’est-à-dire que son existence a un plus haut degré de réalité.

Puis voyez l’érudit, qui étudie, par exemple, l’histoire du passé. Celui-ci est déjà pleinement conscient de l’existence, il s’élève au-dessus du temps où il vit, au-dessus de sa propre personne : il médite sur le cours des choses de ce monde.

Et finalement le poète, ou même le philosophe, chez lequel la réflexion a atteint le degré où, non satisfait de scruter un phénomène quelconque de l’existence, il s’arrête étonné devant l’existence même, devant ce formidable sphinx, et la prend pour sujet de son problème. La conscience a grandi en lui jusqu’au degré de clarté où elle est devenue conscience universelle ; la représentation s’est ainsi mise chez lui, en dehors de tout rapport, au service de la volonté, et offre à son esprit un monde dont l’activité sollicite bien plutôt son enquête et son examen que sa sympathie. Et si les degrés de la conscience sont les degrés de la réalité, la phrase par laquelle nous nommerons un tel homme « l’être le plus réel de tous », aura un sens et une signification.

Entre les extrêmes esquissés ici, avec les points intermédiaires, on pourra assigner à chacun sa place.