Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/35

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espérer quelque chose de lui, en tout cas toujours plus que du prodigue déplumé, qui n’a pas le sou et est accablé de dettes. Mas dà el duro que et desnudo[1], dit un proverbe espagnol. En conséquence de tout ceci, l’avarice n’est pas un vice.

B. — Elle est la quintessence des vices. Si les plaisirs physiques détournent l’homme de la voie droite, sa nature sensuelle, ce qu’il y a de bestial en lui, en porte la faute. Entraîné par l’excitation et subjugué par l’impression du moment, il agit sans réflexion. Au contraire, quand, par faiblesse physique ou par suite de la vieillesse, il en est arrivé là que les vices, qu’il ne pouvait abandonner, l’abandonnent, son aptitude aux plaisirs sensuels étant morte, alors, s’il tourne à l’avarice, l’appétit intellectuel survit à l’appétit charnel. L’argent, qui est le représentant de tous les biens de ce monde, leur abstraction, devient désormais le tronc aride auquel se cramponnent ses appétits éteints, comme égoïsme in abstracto. Ils se régénèrent à partir de ce moment dans l’amour du mammon. Le désir fugitif sensuel s’est transformé en un appétit raisonné et calculé de l’argent, qui est, comme son objet, de nature symbolique, et, comme lui, indestructible. C’est l’amour obstiné, se survivant en quelque sorte, des jouissances de ce monde, l’inconvertibilité absolue, la joie charnelle sublimée et spiritualisée, le foyer abstrait auquel viennent aboutir tous les désirs, et qui est à ceux-ci ce que l’idée générale est à la chose particulière. L’avarice est en conséquence le vice de la vieillesse, comme la prodigalité est celui de la jeunesse.

  1. « L’homme dur donne plus que l’homme nu ».