Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/39

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uniquement des industriels, des commerçants et des spéculateurs. Les marchands constituent sous ce rapport la seule classe honnête. Seuls ils se donnent pour ce qu’ils sont, vont en conséquence sans masque, et occupent pour cette raison un rang peu élevé. Il est très important d’apprendre de bonne heure, dès sa jeunesse, qu’on se trouve au milieu d’une mascarade. Autrement il est beaucoup de choses qu’on ne pourra ni comprendre ni atteindre. On restera devant elles tout perplexe, à commencer par l’homme cui ex meliore luto dedit præcordia Titan[1]. Parmi ces choses sont la faveur acquise à la bassesse ; le mépris dont est l’objet l’homme de mérite, même du plus rare et du plus grand mérite, de la part de ceux qui cultivent la même branche que lui ; la haine de la vérité et des grandes capacités, l’ignorance des savants dans leur propre science, et la recherche des produits artificiels au détriment des produits vrais. Il faut donc enseigner aux jeunes gens que, dans cette mascarade, les pommes sont en cire, les fleurs en soie, les poissons en carton, que tout n’est que farce et plaisanterie ; et que de ces deux hommes qu’ils voient si sérieusement aux prises ensemble, l’un ne vend que de la fausse marchandise, que l’autre paie avec des jetons à compter.

Mais il y a des considérations plus sérieuses à exposer et de pires choses à dire. L’être humain est, au fond, un animal sauvage et effroyable. Nous le connaissons seulement dompté et apprivoisé par ce qu’on nomme la civilisation ; voilà pourquoi nous nous effrayons des explosions occasionnelles de sa nature. Mais quand une

  1. « Dont le dieu suprême a créé les entrailles du meilleur limon ».