Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/53

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le Cœur de Midlothian[1], chap. ii. Deux délinquants ont été condamnés à mort, et celui qui, par sa maladresse, a amené la capture de l’autre, le délivre heureusement, dans l’église où vient d’être prononcé le sermon funèbre, en tenant vigoureusement en respect la garde, tandis qu’il ne fait pas la moindre tentative pour échapper lui-même. Citons également ici, quoiqu’elle puisse être désagréable au lecteur occidental, la scène souvent reproduite par la gravure, où un soldat déjà à genoux pour être fusillé, cherche à éloigner de lui, en agitant vivement son mouchoir, son chien qui veut le rejoindre. Dans tous les cas de cette espèce, nous voyons un individu, approchant avec une complète certitude de sa fin personnelle, oublier son propre salut pour s’appliquer tout entier à celui d’un autre. La conscience pourrait-elle s’exprimer plus clairement, pour témoigner que cette fin est seulement celle d’un phénomène, et est elle-même un phénomène, tandis que la véritable essence de l’être qui finit demeure intacte, se perpétue dans l’autre, en lequel le premier est en train de la reconnaître si nettement, comme le démontre son action ? S’il n’en était pas ainsi, si nous avions devant nous un être qui va véritablement périr, celui-ci pourrait-il, en effet, par le déploiement de ses dernières forces, témoigner un aussi intense intérêt pour le bonheur et la continuation d’un autre ?

  1. Midlothian était le nom de la vieille prison d’Edimbourg, démolie en 1817. C’est l’année suivante que Walter Scott publia le roman très dramatique que lui avait inspiré la disparition de l’antique geôle écossaise, où s’étaient déroulés tant d’événements tragiques. L’action se passe en 1736. (Le trad.)