Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/178

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_______Quid æternis minorem
Consiliis animum fatigas ?
___________(L. II, Ode 11, v. 11 et 12.)

(Pourquoi fatiguer d’éternels projets un esprit débile ?)

Cette méprise si commune est déterminée par l’inévitable illusion d’optique des yeux de l’esprit, qui nous fait apparaître la vie comme infinie ou comme très courte, selon que nous la voyons de l’entrée ou du terme de notre carrière. Cette illusion a cependant son bon côté ; sans elle, nous produirions difficilement quelque chose de grand.

Mais il nous arrive en général dans la vie ce qui arrive au voyageur : à mesure qu’il avance, les objets prennent des formes différentes de celles qu’ils montraient de loin et ils se modifient pour ainsi dire à mesure qu’on s’en rapproche. Il en advient ainsi principalement de nos désirs. Nous trouvons souvent autre chose, parfois même mieux que ce que nous cherchions ; souvent aussi ce que nous cherchons, nous le trouvons par une toute autre voie que celle vainement suivie jusque-là. D’autres fois, là où nous pensions trouver un plaisir, un bonheur, une joie, c’est, à leur place, un enseignement, une explication, une connaissance, c’est-à-dire un bien durable et réel en place d’un bien passager et trompeur, qui s’offre à nous. C’est cette pensée qui court, comme une base fondamentale, à travers tout le livre de Wilhelm Meister ; c’est un roman intellectuel et par cela même d’une qualité supérieure à tous les autres, même à ceux de Walter Scott, qui ne sont tous que des œuvres