Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/186

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partie pourquoi la seconde moitié de notre vie est plus triste que la première. En effet, dans le cours de l’existence, l’horizon de nos vues et de nos relations va s’élargissant. Dans l’enfance, il est borné à l’entourage le plus proche et aux relations les plus étroites ; dans l’adolescence, il s’étend considérablement ; dans l’âge viril, il embrasse tout le cours de notre vie et s’étend souvent même jusqu’aux relations les plus éloignées, jusqu’aux États et aux peuples ; dans la vieillesse, il embrasse les générations futures. Toute limitation au contraire, même dans les choses de l’esprit, profite à notre bonheur. Car moins il y a d’excitation de la volonté, moins il y aura de souffrance ; or nous savons que la souffrance est positive et le bonheur simplement négatif. La limitation du cercle d’action enlève à la volonté les occasions extérieures d’excitation ; la limitation de l’esprit, les occasions intérieures. Cette dernière a seulement l’inconvénient d’ouvrir l’accès à l’ennui qui devient la source indirecte d’innombrables souffrances, parce qu’on recourt à tous les moyens pour le chasser ; on essaye des distractions, des réunions, du luxe, du jeu, de la boisson, et de mille autres choses ; de là dommages, ruine et malheurs de toute sorte. Difficilis in otio quies. Pour montrer en revanche combien la limitation extérieure est bienfaisante pour le bonheur humain, autant que quelque chose peut l’être, combien elle lui est même nécessaire, nous n’avons qu’à rappeler que le seul genre de poème qui entreprenne de peindre des gens heureux, l’idylle, les représente toujours placés essentiellement dans une condition et un entourage des