Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/215

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moment où nous nous réveillons pendant la nuit, nous font-elles voir les objets aussi défigurés et aussi dénaturés qu’en rêve ; nous les verrons d’autant plus noirs et plus terrifiants qu’ils touchent de plus près à des circonstances personnelles. Le matin, ces épouvantails disparaissent, tout comme les songes : c’est ce que signifie ce proverbe espagnol : « Noche tinta, blanco el dia » (La nuit est colorée, blanc est le jour). Mais dès le soir, sitôt la bougie allumée, la raison, la raison aussi bien que l’œil, voit moins clair que pendant le jour ; aussi ce moment n’est-il pas favorable aux méditations sur des sujets sérieux et principalement sur des sujets désagréables. C’est le matin qui est l’heure favorable pour cela, comme, en général, pour tout travail, sans exception, travail d’esprit ou travail physique. Car le matin, c’est la jeunesse du jour : tout y est gai, frais et facile ; nous nous sentons vigoureux et nous disposons de toutes nos facultés. Il ne faut pas l’abréger en se levant lard, ni le gaspiller en occupations ou en conversations vulgaires ; au contraire, il faut le considérer comme la quintessence de la vie et, pour ainsi dire, comme quelque chose de sacré. En revanche, le soir est la vieillesse du jour : nous sommes abattus, bavards et étourdis. Chaque journée est une petite vie, chaque réveil et chaque lever une petite naissance, chaque frais matin une petite jeunesse, et chaque coucher avec sa nuit de sommeil une petite mort.

Mais, d’une manière générale, l’état de la santé, le sommeil, la nourriture, la température, l’état du temps, les milieux, et bien d’autres conditions extérieures