Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/217

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élevé, se trouve l’élément bas et vulgaire de la nature humaine, on pourrait dire, par moments, de la nature bestiale. Cette populace ne doit pas être excitée au tumulte ; il ne faut pas lui permettre non plus de se montrer aux fenêtres, car la vue en est fort laide. Or ces productions de la fantaisie, dont nous parlions tout à l’heure, ce sont les démagogues parmi cette populace. Ajoutons que la moindre contrariété, qu’elle provienne des hommes ou des choses, si nous nous occupons constamment à la ruminer et à nous la dépeindre sous des couleurs voyantes et à une échelle grossie, peut grandir jusqu’à devenir un monstre qui nous mette hors de nous. Il faut au contraire prendre très prosaïquement et très froidement tout ce qui est désagréable, afin de s’en tourmenter le moins possible.

De même que de petits objets, tenus tout près devant l’œil, diminuent le champ de la vision et cachent le monde, de même les hommes et les choses de notre entourage le plus prochain, quand ils seraient les plus insignifiants et les plus indifférents, occuperont souvent notre attention et nos pensées au delà de toute convenance, et écarteront des pensées et des affaires importantes. Il faut réagir contre cette tendance.

14° À la vue de biens que nous ne possédons pas, nous nous disons très volontiers : « Ah ! si cela m’appartenait ! » et c’est cette pensée qui nous rend la privation sensible. Au lieu de cela, nous devrions souvent nous demander : « Comment serait-ce si cela ne m’appartenait pas ? » J’entends par là que nous devrions parfois nous