Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/219

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cabler, car nous nous consolons alors par un retour de pensée sur ces malheurs considérables qui ne se sont pas réalisés. Mais il faut avoir soin, tout en pratiquant cette règle, de ne pas négliger la précédente.

15o Les événements et les affaires qui nous concernent se produisent et se succèdent isolément, sans ordre et sans rapport mutuel, en contraste frappant les uns avec les autres et sans autre lien que de se rapporter à nous ; il en résulte que les pensées et les soins nécessaires devront être tout aussi nettement séparés, afin de correspondre aux intérêts qui les ont provoqués. En conséquence, quand nous entreprenons une chose, il faut en finir avec elle, en faisant abstraction de toute autre affaire, afin d’accomplir, de goûter ou de subir chaque chose en son temps, sans souci de tout le reste ; nous devons avoir, pour ainsi dire, des compartiments pour nos pensées, et n’en ouvrir qu’un seul pendant que tous les autres restent fermés. Nous y trouvons cet avantage de ne pas gâter tout petit plaisir actuel et de ne pas perdre tout repos par la préoccupation de quelque lourd souci ; nous y gagnons encore cela qu’une pensée n’en chasse pas une autre, que le soin d’une affaire importante n’en fait pas négliger beaucoup de petites, etc. Mais surtout l’homme capable de pensées nobles et élevées ne doit pas laisser son esprit s’absorber par des affaires personnelles et se préoccuper de soins bas au point de fermer l’accès à ses hautes méditations, car ce serait vraiment « propter vitam, vivendi perdere causas » (pour vivre, perdre les causes de la vie). Il est indubitable que pour faire exé-