Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/274

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clusion d’effet à cause (voy. Le monde comme V. et R., vol. I).

Toutefois il ne convient qu’en théorie d’anticiper sur le temps en prévoyant son effet, et non pas pratiquement ; ce qui veut dire qu’il ne faut pas empiéter sur l’avenir en demandant avant le temps ce qui ne peut venir qu’avec le temps. Quiconque s’avise de le faire éprouvera qu’il n’est pas d’usurier pire et plus intraitable que le temps, et que, lorsqu’on lui demande des avances de payement, il exige de plus lourds intérêts que n’importe quel juif. Par exemple, on peut, au moyen de chaux vive et de chaleur, pousser la végétation d’un arbre au point de lui faire porter en quelques jours ses feuilles, ses fleurs et ses fruits ; mais il dépérit ensuite. Quand l’adolescent veut exercer dès à présent, même pendant peu de jours, la puissance génitale de l’homme fait, et accomplir à dix-neuf ans ce qui lui sera facile à trente, le temps lui en fera bien l’avance, mais une partie de la force de ses années à venir, peut-être une partie même de sa vie, servira d’intérêt. Il est des maladies que l’on ne peut guérir convenablement et radicalement qu’en leur laissant suivre leur cours naturel ; elles disparaissent alors d’elles-mêmes, sans laisser de traces. Mais si l’on demande à se rétablir immédiatement, tout de suite, alors encore le temps devra faire l’avance ; la maladie sera écartée, mais l’intérêt sera représenté par un affaiblissement et des maux chroniques pour toute la vie. Lorsque, en temps de guerre ou de troubles, on veut trouver de l’argent bien vite, tout de suite, on est obligé de vendre au tiers de