Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/275

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leur valeur, et peut-être moins encore, des immeubles ou des papiers de l’État, dont on obtiendrait le prix intégral si on laissait faire le temps, c’est-à-dire si l’on attendait quelques années ; mais on l’oblige à des avances. Ou bien encore on a besoin d’une certaine somme pour faire un long voyage : on pourrait ramasser l’argent nécessaire en un ou deux ans en épargnant sur ses revenus. Mais on ne veut pas attendre : on emprunte ou bien on prend sur son capital ; en d’autres mots, le temps est appelé à faire une avance. Ici, l’intérêt sera le désordre faisant irruption dans les finances, et un déficit permanent et croissant dont on ne peut plus se débarrasser. C’est là donc l’usure pratiquée par le temps, et tous ceux qui ne peuvent pas attendre seront ses victimes. Il n’est pas d’entreprise plus coûteuse que de vouloir précipiter le cours mesuré du temps. Gardons-nous bien aussi de lui devoir des intérêts.

50° Entre les cerveaux communs et les têtes sensées, il y a une différence caractéristique et qui se produit fréquemment dans la vie ordinaire : c’est que les premiers, quand ils réfléchissent à un danger possible dont ils veulent apprécier la grandeur, ne cherchent et ne considèrent que ce qui peut être arrivé déjà de semblable ; tandis que les secondes pensent par elles-mêmes à ce qui pourrait arriver, se rappelant le proverbe espagnol qui dit : « Lo que no acaece en un ano, acaece en un rato » (Ce qui n’arrive pas en un an arrive en un instant). Du reste, la différence dont je parle est toute naturelle ; car, pour embrasser du regard ce qui peut arriver, il faut du jugement,