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DE LA QUATRIÈME CLASSE D’OBJETS POUR LE SUJET

immédiatement tous les autres, souvent même, en apparence, contre notre gré. L’image la plus juste pour nous représenter cette propriété de notre intelligence (Platon en donne aussi une : il compare la mémoire à une matière plastique qui reçoit et qui garde les empreintes), serait celle d’une toile qui, pliée souvent de la même façon, refait ensuite ces mêmes plis, pour ainsi dire, d’elle-même. L’intelligence, comme le corps apprend par l’exercice à obéir à la volonté. Un souvenir n’est pas dit tout, comme on le croit généralement, toujours la même idée que l’on retire, comme qui dirait, de son magasin ; il se produit réellement chaque fois une nouvelle représentation, seulement avec beaucoup de facilité, vu l’exercice : c’est ainsi que l’on peut se rendre compte comment des images, que nous croyons garder dans la mémoire, mais auxquelles en réalité nous ne faisons que nous exercer par de fréquentes répétitions, se modifient insensiblement ; nous nous en apercevons quand, en revoyant, après un long laps de temps, un objet connu autrefois, nous trouvons qu’il ne correspond plus à l’image que nous en apportons. Cela ne pourrait pas avoir lieu si nous conservions des représentations toutes faites. De là vient que des connaissances déjà acquises, quand nous ne les exerçons pas, disparaissent si vite de la mémoire, parce qu’elles ne sont précisément que des choses d’exercice ayant leur source dans l’habitude et le maniement : ainsi, par exemple, la plupart des savants oublient leur grec, et les artistes qui rentrent dans leur pays, l’italien. C’est pour cette raison encore que, lorsque nous avons