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LA MÉMOIRE

su autrefois un nom, un vers ou autre chose de semblable et que pendant longtemps nous n’y avons pas pensé, nous le retrouvons avec difficulté ; mais, une fois rappelé, nous l’avons de nouveau à notre disposition pour quelque temps, car nous avons renouvelé l’exercice. Ceux qui connaissent plusieurs langues devraient de temps en temps lire des livres dans chacune d’elles, pour continuer à les posséder.

C’est ici également que nous trouvons l’explication de ce fait que les événements de notre enfance, et tout ce qui nous entourait à cette époque, se gravent si profondément dans la mémoire : comme enfants, nous n’avons que peu d’idées, et celles-là principalement intuitives ; aussi, pour nous occuper, les répétons-nous sans cesse. Les hommes qui ont peu d’aptitude à penser de leur propre fonds sont dans le même cas leur vie durant (et cela non seulement a l’égard des représentations intuitives, mais aussi à l’égard des concepts et des mots) ; aussi sont-ils parfois doués d’une excellente mémoire, à moins que l’hébétement ou la paresse d’esprit n’y apportent obstacle. En revanche, les hommes de génie ont parfois une mauvaise mémoire, comme Rousseau le dit de lui-même ; on pourrait s’expliquer le fait par le grand nombre de pensées, et de combinaisons nouvelles qui ne lui laissent pas le temps pour de fréquentes répétitions ; et cependant la grande intelligence s’allie difficilement avec une très mauvaise mémoire, car l’énergie et la vivacité plus grande des facultés intellectuelles remplacent ici l’exercice continu. N’oublions pas non plus que Mnémosyne est la mère des Muses. Dès lors,