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DE LA QUATRIÈME CLASSE D’OBJETS POUR LE SUJET

on peut dire que la mémoire est sous l’empire de deux influences antagonistes : celle de l’énergie des facultés intellectuelles d’une part, et celle du nombre d’idées qui les occupent, d’autre part. Plus le premier facteur est petit, plus petit doit être aussi le second, pour constituer une bonne mémoire ; et plus ce second facteur est grand, plus le premier devra l’être aussi. Voilà pourquoi les gens qui lisent trop de romans affaiblissent par là leur mémoire ; c’est qu’en effet, chez ceux-ci aussi, comme chez les hommes de génie, le grand nombre de représentations enlève le temps et la patience voulues pour la répétition et l’exercice, avec cette différence toutefois que ce ne sont pas leurs propres pensées avec leurs combinaisons qui les occupent, mais des pensées et des combinaisons étrangères et fugitives, et que, en outre, ce qui compense l’exercice chez le génie à eux leur fait défaut. Cependant à tout ce que nous avons dit là, il y a un correctif à apporter : c’est que tout homme a la plus grande dose de mémoire pour ce qui l’intéresse, et la moindre pour le reste. Aussi beaucoup de grands esprits oublient avec une surprenante rapidité les petites affaires et les petits événements de la vie journalière, ainsi que les hommes insignifiants qu’ils peuvent avoir connus, tandis que les esprits bornés se les rappellent parfaitement ; mais néanmoins les premiers auront une très bonne mémoire, parfois même étonnante, pour ce qui a de l’importance à leurs yeux et pour ce qui en a en soi.

Généralement parlant, il est facile de comprendre que, de toutes les séries d’idées, celles que nous retenons le