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essai sur le libre arbitre

dramatique est que ses caractères ne se soutiennent pas, c’est-à-dire qu’ils ne soient pas tracés d’un bout à l’autre comme ceux que nous ont représentés les grands poètes, avec la constance et l’inflexible logique qui président au développement d’une force naturelle (je l’ai prouvé par un exemple emprunté à Shakespeare, Parerga, V, 2, § 118, p. 196 de la 1er édition). — C’est encore sur cette vérité que repose la possibilité de la conscience morale, qui nous reproche jusque dans la vieillesse les méfaits de notre jeune âge. C’est ainsi, par exemple, que J.-J. Rousseau, après plus de quarante ans, se rappelait avec douleur avoir accusé la servante Marion d’un vol, dont il était lui-même l’auteur. Cela n’est explicable qu’en admettant que le caractère soit resté invariable dans l’intervalle ; puisque au contraire les plus ridicules méprises, la plus grossière ignorance, les plus étonnantes folies de notre jeunesse ne nous font pas honte dans l’âge mûr ; car tout cela a changé, c’était l’affaire de l’intelligence, nous sommes revenus de ces erreurs, et nous les avons mises de côté depuis longtemps comme nos habits de jeunes hommes. — De là découle encore ce fait, qu’un homme, même quand il a la connaissance la plus claire de ses fautes et de ses imperfections morales, quand il les déteste même, quand il prend la plus ferme résolution de s’en corriger, ne se