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essai sur le libre arbitre

point le fil conducteur qui passe pour ainsi dire à travers toutes choses[1] et qui les unit, si surtout elle ne présidait pas à la production des individus ? Une monstruosité, un amas de décombres, une grimace (sic) dénuée de signification et de sens, — un produit du hasard véritable et proprement dit.

Souhaiter que quelque événement n’arrive point, c’est s’infliger follement un tourment gratuit : car cela revient à souhaiter quelque chose d’absolument impossible, et n’est pas moins déraisonnable que de souhaiter que le soleil se lève à l’Ouest. En effet, puisque tout événement, grand ou petit, est absolument nécessaire, il est parfaitement oiseux de méditer sur l’exiguïté ou la contingence des causes qui ont amené tel ou tel changement, et de penser combien il eût été aisé qu’il en fût différemment : tout cela est illusoire, car ces causes sont entrées en jeu et ont opéré en vertu d’une puissance aussi absolue que celle par laquelle le soleil se lève à l’Orient. Nous devons bien plutôt considérer les événements qui se déroulent devant nous du même œil que les caractères imprimés sur les pages d’un livre que nous lisons, en sachant bien qu’ils s’y trouvaient déjà, avant que nous les lussions[2].

  1. J’ai tenu à conserver l’image du texte, qui est fort belle.
  2. La comparaison ne manque pas de profondeur, mais Schopenhauer est bien près du fatalisme.