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essai sur le libre arbitre

sent, dont il ne saurait se dégager pour pénétrer au-delà. Car lui-même il est comme il veut, et il veut comme il est[1]. Donc, quand on lui demande s’il pourrait vouloir autrement qu’il ne veut, on lui demande en vérité s’il pourrait être autrement qu’il n’est : ce qu’il ignore absolument. Aussi le philosophe, qui ne se distingue du premier venu que par la supériorité que lui donne la pratique de ces questions, doit, si dans ce problème difficile il veut atteindre à la clarté, se tourner en dernière instance vers les seuls juges compétents, à savoir l’entendement qui lui fournit ses notions à priori, la raison qui les élabore, et l’expérience qui lui présente ses actions et celles des autres pour expliquer et contrôler les intuitions de sa raison. Sans doute leur décision ne sera pas aussi facile, aussi immédiate, ni aussi simple que celle de la conscience, mais par cela même elle sera à la hauteur de la question et fournira une réponse adéquate. C’est la tête qui a soulevé la question : c’est la tête aussi qui doit la résoudre.

D’ailleurs nous ne devons pas nous étonner qu’à une question aussi abstruse, aussi haute, aussi difficile, la conscience immédiate n’ait pas de réponse

  1. Il n’y a pas là, comme on pourrait le croire, d’allusion prématurée à la doctrine du choix extemporel de Kant. Cet aphorisme prétentieux signifie simplement que notre essence est conforme à nos volitions, lesquelles réciproquement manifestent notre essence.