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ii. de la nature

choses seraient une, comme dit Empédocle » (Aristote). Et ce conflit ne fait d’autre part que révéler la discorde intérieure qui est dans l’essence du Vouloir lui-même. Où cette lutte universelle apparaît le plus distinctement, c’est dans le monde animal ; alors qu’il se nourrit déjà du monde végétal, il nous montre encore ses propres représentants se servant mutuellement de proie et de nourriture, c’est-à-dire la matière, où s’incarnait telle Idée, incessamment contrainte d’abandonner la partie pour passer à la manifestation d’une autre Idée, chaque animal ne pouvant subsister qu’en supprimant perpétuellement quelque autre animal. On voit donc partout le Vouloir-vivre se dévorer lui-même, devenir à lui-même, sous ses différentes formes, sa propre pâture ; jusqu’à ce qu’on arrive finalement à l’espèce humaine, qui, parce qu’elle l’emporte sur toutes les autres, est à même de considérer la nature comme une fabrique de produits offerts à son seul usage, mais dans le sein de laquelle on n’en aperçoit pas moins, sous son aspect le plus accentué et le plus terrible, ce conflit, cette discorde intérieure qui met le Vouloir aux prises avec lui-même, et qui a permis de dire : homo homini lupus.