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la pensée de schopenhauer

son œuvre nous dévoile dans un exemple individuel qui la symbolise.

Voyons enfin ce qu’il faut entendre par ce Satz vom (zureichenden) Grunde, ce « principe de raison suffisante », ou simplement « principe de raison », dont le nom, créé par Leibnitz, revient si souvent dans l’œuvre de Schopenhauer et auquel celui-ci a consacré dans son premier ouvrage, sa thèse de doctorat, une étude spéciale. A cet ouvrage notre choix de fragments n’a fait aucun emprunt, vu son caractère trop purement scolaire et dialectique. Mais comme Schopenhauer en déclarait lui-même la connaissance indispensable à l’intelligence de son système, il nous faut donner quelques indications aussi brèves que possible sur cet objet aride, qui exige l’emploi de termes trop techniques.

Le « principe de raison » exprime le rapport régulier et nécessaire qui relie entre eux tous les objets, c’est-à-dire toutes nos représentations, quelles qu’elles soient, et en vertu duquel notre monde forme un tout cohérent. Nul objet ne saurait être pour nous objet de connaissance, qui serait un objet existant « en soi » ou « pour soi ». Autrement dit : rien de ce qui est n’est sans raison d’être. Telle est la formule générale la plus simple à laquelle se ramène ce principe fondamental. Mais il revêt, au dire de Schopenhauer, quatre aspects différents — procède d’une « quadruple racine » — selon les quatre catégories d’objets ou de représentations qu’il gouverne et relie. — Dans la première catégorie, celles de nos représentations sensibles, par où nous percevons le monde réel, il apparaît sous la forme de la loi de causalité : tout changement, c’est-à-dire tout effet, suppose un autre changement antérieur, c’est-à-dire une cause, laquelle cause est elle-même un effet, et ainsi de suite à l’infini. C’est le principe de raison du devenir. C’est celui de la nécessité ou du mécanisme, que reconnaissent dans la nature toutes les sciences expérimentales. — Dans la seconde catégorie, celle des concepts ou représentations abstraites, le principe de raison signifie qu’un jugement (ou combinaison de concepts), pour