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ii. de la nature

loir, affranchie comme telle du principe de raison, c’est-à-dire sans raison. Elle gît en dehors de toute espèce de temps ; omniprésente, elle semble en quelque sorte attendre constamment le concours de circonstances qui lui permettra d’apparaître et de s’emparer de telle ou telle matière, en évinçant les forces qui régnaient sur elle jusqu’alors. Il n’existe de temps que pour ses manifestations ; pour elle, le temps n’a point de sens. Pendant des milliers d’années les forces chimiques peuvent sommeiller dans une matière jusqu’à ce que le contact de certains réactifs les éveille et les libère ; alors elles apparaissent ; mais le temps n’est là que pour cette apparition et non pour ces forces elles-mêmes. Pendant des milliers d’années le galvanisme demeure assoupi dans le cuivre et dans le zinc, et ceux-ci reposent paisiblement à côté de l’argent, qui, pour peu que tous trois soient mis en contact dans les conditions requises, doit nécessairement prendre feu. Même dans le monde organique, nous voyons qu’un grain de semence, maintenu au sec, conserve pendant trois mille ans la force latente qui le fera germer en une plante, lorsqu’enfin les circonstances favorables interviennent.

Sans contredit, Malebranche a raison : toute cause naturelle n’est qu’une cause occasionnelle.