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iii. de l’art

la vie comme telle. L’homme de génie, au contraire, chez qui la faculté cognitive, par sa prépondérance, s’affranchit à certains intervalles du service du Vouloir, s’attarde au spectacle de la vie prise en elle-même, et s’efforce d’y saisir l’Idée de chaque chose, au lieu des relations de cette chose avec d’autres. Ainsi occupé, il néglige souvent de considérer son propre chemin, ce qui explique qu’il y procède en général avec assez de maladresse. Pour l’homme ordinaire, la faculté de connaître est une lanterne qui lui éclaire sa route ; pour l’homme génial elle est le soleil dont la lumière lui révèle le monde. Cette différence si grande dans la manière de considérer la vie, qui distingue deux espèces d’hommes, en vient même à se marquer visiblement jusque dans leur apparence extérieure. On distingue aisément l’homme en qui le génie vit et agit à cette vivacité, en même temps qu’à cette fermeté du regard, qui est le signe de la puissance contemplative ; témoins les portraits des quelques hommes géniaux que la nature, parmi d’innombrables millions d’êtres humains, a produits çà et là. Par contre, le regard des autres hommes, quand il n’est pas neutre et terne, ce qui est le cas le plus fréquent, présente vo-