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la pensée de schopenhauer

lontiers un caractère qui est exactement à l’opposé de la contemplation : il épie.

Même l’homme supérieurement intelligent et raisonnable, celui qu’on serait tenté d’appeler le sage, diffère complètement du génie par le fait que chez lui l’intellect conserve une direction pratique, étant toujours préoccupé des fins et des moyens les plus utiles, et qu’en demeurant ainsi au service du Vouloir, il fonctionne conformément à la destination qui lui est proprement naturelle. L’attitude pratique, sérieuse et ferme, en face de la vie, que les Romains désignaient du nom de gravitas, implique un intellect qui n’abandonne pas le service du Vouloir pour divaguer dans des régions qui n’intéressent pas ce dernier ; aussi n’autorise-t-elle pas cette dissociation du Vouloir et de l’intellect, qui est la condition du génie. L’homme avisé, l’homme même remarquablement doué, que son cerveau rend propre à réaliser de grandes choses dans le domaine pratique, l’est précisément parce que les objets émeuvent vivement son Vouloir, et l’incitent à observer sans relâche leurs raisons et leurs relations. Son intellect est donc lui-même fortement lié à son Vouloir. Devant le cerveau de l’hom-