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la pensée de schopenhauer

fait saura prendre la décision appropriée et l’exécuter, et il ne court aucun risque de tomber dans ces excentricités, ces fautes nuisibles à l’intérêt personnel, ces sottises même, que l’homme de génie est exposé à commettre, du fait que son intellect ne demeure pas exclusivement le guide et le surveillant de son Vouloir, mais qu’il est toujours plus ou moins captif de quelque préoccupation purement objective. C’est ce contraste, présenté ici sous forme abstraite, entre deux sortes d’aptitudes complètement différentes, que Gœthe a incarné dans les deux personnages opposés du Tasse et d’Antonio. Si l’on a pu constater si souvent une parenté entre le génie et la folie, cela tient avant tout à ce divorce de l’intellect et du Vouloir qui, pour être contre nature, n’en est pas moins un trait essentiel du génie. Mais ce divorce lui-même ne saurait en aucune façon être attribué au fait que le génie s’accompagnerait naturellement d’un Vouloir moins intense, puisque ce même génie a bien plutôt pour condition un caractère ardent et passionné. L’explication qui paraît s’imposer, c’est que l’homme d’intelligence pratique supérieure possède tout juste ce qu’il faut de capacité intellectuelle à un Vouloir puissant, la plupart des