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iii. de l’art

quoi l’Univers, dans cette splendeur matinale de la vie, apparaît si frais, si plein d’attraits, si magiquement chatoyant. Les petites convoitises de l’enfance, ses penchants incertains et ses mesquins soucis ne font qu’un faible contrepoids à cette prédominance de l’activité cognitive. De là aussi ce regard innocent et clair, qui est pour nous comme un rafraîchissement, et qui atteint dans certains cas à cette sublime expression contemplative dont Raphaël a su faire rayonner le visage de ses anges.

Les forces de l’esprit se développent donc beaucoup plus tôt que les besoins qu’elles sont destinées à servir ; et-ici, comme partout, la nature use de moyens parfaitement adaptés à son but. Car, durant cette période de prédominance de l’intellect, l’homme amasse une grande provision de connaissances, qui serviront plus tard à des besoins que sa nature, pour l’instant, ignore encore. C’est pourquoi son intellect fonctionne sans relâche, s’emparant avidement des phénomènes, travaillant secrètement sur les données qu’ils lui fournissent et les emmagasinant soigneusement pour l’avenir, pareil à l’abeille qui récolte beaucoup plus de miel qu’elle n’en peut consommer, dans le pressentiment de ses besoins