Page:Schopenhauer - La Pensée, 1918, trad. Pierre Godet.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
181
iii. de l’art

plupart des hommes trahissent leur incapacité de s’intéresser à rien sans des raisons subjectives, et de voir rien d’autre dans les choses que des motifs éventuels de leurs actions. Quiconque ne demeure pas en quelque mesure, sa vie durant, un grand enfant, mais devient à un moment donné un homme sérieux, positif, parfaitement raisonnable et de sens rassis, sera peut-être un citoyen de ce monde très capable et utile ; un génie, jamais. En fait, si le génie est ce qu’il est, c’est parce que cette prépondérance du système sensible et de la faculté cognitive, qui est naturelle à l’enfant, se maintient de façon anormale chez l’homme génial durant tout le cours de la vie, et qu’elle apparaît fixée ici en un caractère permanent. Des traces de cet état persistent, il est vrai, Chez beaucoup d’êtres humains ordinaires qui ont déjà passé de l’enfance à la jeunesse ; ainsi dans cette ardeur d’ordre purement intellectuel, accompagnée d’une sorte d’excentricité géniale, qui frappe chez maint étudiant. Mais la nature retourne vite à son ornière ; ces jeunes gens ne tardent pas à se momifier, et ils apparaissent dans la suite, devenus hommes, à l’état de complets philistins, qu’on est effrayé de trouver ainsi faits, quand on les revoit après de longues années.