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la pensée de schopenhauer

sites, ils se nourrissent de la sève sucée aux œuvres d’autrui, mais aussi, comme les polypes, ils portent sur eux la couleur de leur nourriture. On pourrait dire aussi, pour pousser plus loin la comparaison, qu’ils ressemblent à des machines, qui peuvent bien hacher en particules très fines et mélanger parfaitement les matières introduites dans leur mécanisme, mais qui sont incapables de les digérer, si bien qu’on pourrait toujours, si l’on voulait, retrouver dans le mélange les divers éléments qui le constituent et en faire le triage ; tandis que le génie est pareil à un corps vivant, à un organisme qui assimile, transforme et produit. Car, s’il est formé et éduqué par les œuvres de ses prédécesseurs, c’est la vie, c’est l’Univers seuls qui le fécondent, directement, par l’impression sensible qu’il en reçoit ; aussi la plus haute culture ne peut-elle jamais nuire à son originalité. Tous les imitateurs, tous les maniéristes recueillent sous forme de concepts la substance des œuvres qui leur servent de modèles ; mais les concepts ne peuvent jamais conférer à une œuvre la vie intérieure. Les contemporains, je veux dire la foule toujours bornée, ne connaissent eux-mêmes que des concepts, auxquels ils se cramponnent obstinément ; aussi accueillent-ils avec une appro-