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iii. de l’art

leur vérité, sous le voile des contingences objectives et subjectives qui empêche la plupart d’entre nous de les saisir directement. Ce voile, l’art le fait tomber.

On s’accorde à reconnaître que les œuvres des poètes, des peintres, des sculpteurs, en général de tous les artistes « figurateurs »[1], enferment des trésors de profonde sagesse ; parce que, précisément, ce qui nous parle en elles, c’est la sagesse de la nature, la sagesse des choses elles-mêmes, dont l’art n’est que l’interprète qui nous redit leurs enseignements en un langage plus clair et plus pur. Mais cela même suppose évidemment qu’en présence du poème ou de l’œuvre plastique le lecteur ou le spectateur puisse toujours contribuer de son propre fonds à dégager cette sagesse ; ce qui veut dire qu’il ne peut s’en approprier qu’une part proportionnée à ses capacités et à sa culture ; de même que le navigateur, en explorant les profondeurs de la mer, n’atteint pas plus loin que la longueur de sa sonde. Devant une œuvre d’art, il faut toujours se tenir comme devant un prince, attendant qu’elle vous parle et qu’elle vous dise ce qu’elle a à vous dire ; et pas plus qu’à un

  1. Si Schopenhauer limite ici aux artistes « figurateurs » (mot que nous employons, faute d’un autre, pour traduire darstellende) une observation qui semble concerner l’art en général, c’est qu’il fait, comme on le verra, une place à part et privilègiée à la musique. (N. d. T.).