Page:Schopenhauer - La Pensée, 1918, trad. Pierre Godet.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
200
la pensée de schopenhauer

encore, et encore moins de lui reprocher d’être ce qu’il est plutôt qu’autre chose. Il est le miroir de l’humanité, par qui elle prend conscience de ses propres sentiments et de sa propre vie.


De la tragédie. La « justice poétique ».

Aussi bien pour la puissance des effets qu’elle est capable de produire, que pour la difficulté de la tâche qu’elle réalise, la tragédie doit être considérée — et elle l’est en fait — comme le sommet de l’art du poète. Il est très remarquable, et de grande importance pour l’ensemble de nos vues sur l’Univers, que cette forme la plus haute de l’activité poétique ait pour but de nous présenter le côté sinistre de la vie, et que ce soient le désespoir de l’homme et ses souffrances indicibles, le triomphe de la méchanceté, le règne du hasard ironique, la défaite irréparable du juste et de l’innocent, qu’elle peigne et mette en scène. Il y a dans ce fait une indication précieuse sur la nature même du monde et de l’existence. Ce que le poète nous fait apercevoir ici, sous son aspect le plus terrible, déployant complètement, à ce degré supérieur de l’objectivation du Vouloir, ses multiples effets, c’est le conflit du Vouloir avec