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iii. de l’art

qu’un rapport indirect, car elle ne formule jamais le phénomène, mais seulement l’essence intérieure, l’« en-soi » de tout phénomène, le Vouloir lui-même. Elle n’exprimera donc pas telle ou telle joie particulière et déterminée, telle ou telle mélancolie, ou douleur, ou effroi, ou allégresse, ou gaîté, ou sérénité, mais bien la joie, la mélancolie, la douleur, l’effroi, l’allégresse, la gaîté, la sérénité elles-mêmes, en quelque sorte in abstracto, dans leur essence même, sans aucun élément accidentel, donc aussi sans les motifs qui les provoquent. Telle qu’elle est cependant, ne donnant de toute réalité qu’une quintessence abstraite, nous comprenons parfaitement la musique. C’est ce qui explique qu’elle excite si aisément notre imagination et que celle-ci tente bientôt de donner à ce monde spirituel si immédiatement proche de nous, invisible et pourtant si intensément animé, une forme sensible, de l’incarner en des figures concrètes, en d’autres termes de l’incorporer en un exemple qui lui corresponde. Là est l’origine du chant avec paroles et par suite de l’opéra. Aussi est-ce une grave erreur, un véritable contre-sens, que de faire du livret de l’opéra, qui, en raison même de cette origine, ne devrait jamais abandonner sa fonction