Page:Schopenhauer - La Pensée, 1918, trad. Pierre Godet.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
217
iv. de la vie et de la mort

nouvelle existence du fait d’avoir été scellé par la mort ? Notre propre passé, même le plus proche, même le jour d’hier, n’est déjà plus rien qu’un vain songe de notre imagination : il en est de même du passé de ces millions d’êtres qui nous ont précédés. Qu’est-ce qui fut ? Qu’est-ce qui est ? Rien d’autre que le Vouloir, dont la vie est le reflet, et la connaissance qui, affranchie du Vouloir, en aperçoit distinctement l’image dans ce miroir de la vie. Pour celui qui n’a pas encore compris cela ou qui ne veut pas le comprendre, une autre question viendra nécessairement s’ajouter à celle qu’il se posait tout à l’heure sur le sort des générations passées : pourquoi moi, se demandera-t-il, qui m’interroge ainsi en ce moment, ai-je le privilège de détenir ce bien précieux, cette unique réalité : le présent fugitif, alors que ces centaines de générations humaines, et parmi elles les héros et les sages de jadis, ont sombré dans la nuit du passé ? Pourquoi ces êtres ont-ils été réduits à néant, tandis que moi — le « moi » insignifiant que je suis — j’existe actuellement et réellement ? Ou encore, pour dire la chose plus brièvement, bien qu’en termes bizarres : pourquoi ce « maintenant », mon « maintenant », est-il précisément maintenant, et n’a-t-il pas déjà été il y a longtemps ? Cet étrange questionneur considère donc son existence et le temps