Page:Schopenhauer - La Pensée, 1918, trad. Pierre Godet.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
219
iv. de la vie et de la mort

du plus violent de nos désirs, se rattache l’origine d’une nouvelle existence ; autrement dit, cette satisfaction implique que la vie, avec tous ses besoins, toutes ses charges et toutes ses souffrances, soit recommencée et revécue à nouveau. Ce recommencement s’accomplit, il est vrai, dans un autre individu ; mais si l’individu différait absolument et en soi de celui qui le précède comme il en diffère dans le phénomène, que deviendrait la justice éternelle[1]  ?

L’existence se présente comme une tâche, comme un pensum, dont il s’agit de venir à bout tant bien que mal, c’est-à-dire presque toujours comme une lutte incessante contre d’impitoyables nécessités. Chacun cherche donc à s’en tirer comme il peut ; l’homme s’acquitte de la vie comme d’une corvée dont il est redevable. Et qui en a contracté pour lui la dette ? Celui qui l’engendra dans la volupté. Ainsi, parce que l’un a savouré cette volupté, il faut que l’autre vive, souffre et meure. Mais n’oublions pas que la différenciation en individus de cela qui est identique en son essence est uniquement le fait du temps et de l’espace, que j’ai pu appeler, pour cette raison même, le « principe d’individuation ». Il n’y aurait point sans cela de justice éternelle.

  1. Sur la « justice éternelle », voir au chapitre suivant. ( N. d. T.)