Page:Schopenhauer - La Pensée, 1918, trad. Pierre Godet.djvu/27

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introduction

pommier, parce que pommier, ne saurait produire que des pommes ; ainsi, de ce que je suis résulte de toute nécessité ce que je fais. Mais, en même temps. je ne m’en sens pas moins responsable de ce que je fais, parce que déjà — et c’est là le mystère — je me sens responsable de ce que je suis. Laissons à Schopenhauer le soin de développer lui-même cette idée : qu’il faut chercher dans l’être la liberté qui n’est pas dans l’acte, ce qui est faire du problème de la liberté celui de ’existence même. Insistons plutôt ici sur cette nécessité que la plupart des grands esprits, et Schopenhauer avec eux, s’accordent à reconnaître dans tout ce qui est nature.

Nous savons que cette nécessité est la condition même de la science, dont c’est le droit imprescriptible d’interpréter selon le mécanisme déterministe tous les faits où elle peut discerner ce mécanisme. En ce sens il n’y a pas lieu d’assigner des bornes à la science, puisque ces bornes sont par définition celles du connaissable et que la science les rencontre d’elle-même ; et ceux-là seuls prétendent restreindre le champ de la science, ou dénoncent sa « faillite », qui la confondent avec tous ceux qui se réclament d’elle, ou feignent d’ignorer qu’elle se déclare elle-même à jamais relative. Au reste, nul mieux que Schopenhauer, quand il montre que toute explication physique aboutit nécessairement à un point où elle cesse d’être une explication, à savoir le point où elle touche à l’essence même d’une chose ou d’une force, n’a dénoncé l’aveuglement de l’absolutisme matérialiste, qui s’imagine pouvoir détrôner la métaphysique pour installer la « physique » à sa place. Nul mieux que ce déterministe, fidèle à l’esprit de la science, n’a ridiculisé ce fétiche religieux de nos primaires : la science omnisciente.

11 plaidait là une cause qui semble actuellement gagnée. En revanche, ce qu’on ne voit pas assez aujourd’hui, et qui est également inclus dans sa pensée, c’est que la conception déterministe de la nature, fondement de toute science, lente conquête de trois siècles de probité intellectuelle, est en même temps la