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la pensée de schopenhauer

plus solide garantie de notre liberté même. Non seulement parce qu’elle nous oblige à chercher cette liberté uniquement là où elle est, mais parce qu’en nous astreignant tous à une même méthode dans la recherche du vrai, elle oppose une rigoureuse loi commune à toute tentative de nous imposer d’en-haut « la vérité ». N’y a-t-il pas là une meilleure sauvegarde que dans une « contingence des lois de la nature », qui, sous prétexte de liberté, réinstaure l’arbitraire au dehors comme au dedans, pour rouvrir tôt ou tard la porte à des cléricalismes, à des obscurantismes, qui semblent déjà se préparer, dissimulés sous les plus séduisantes étiquettes ? Et quant à ceux que continueraient de préoccuper les conséquences morales et religieuses de l’idée déterministe, faut-il, après d’autres, leur rappeler qu’elle implique de toute nécessité, dès l’instant qu’il y a religion, une religion de la foi et de la grâce — du seul vrai « miracle » —, une religion ayant son pivot dans l’être et non point dans l’acte, et s’opposant ainsi à toute religion des œuvres et du mérite ?

Ce serait ici l’occasion de parler de la pensée de Schopenhauer dans ses rapports avec le christianisme. Quiconque est capable de voir au delà des mots reconnaîtra d’emblée dans la doctrine de cet « athée » — un des rares philosophes qui n’ait pas craint de se déclarer tel ouvertement et franchement — des éléments identiques à ceux qui sont à la base du christianisme. Nietzsche n’a pas eu de peine à y retrouver sous sa forme la plus quintessenciée, celle d’une pensée rationnelle libérée du dogme, ce qu’il tenait pour le virus de notre décadence. On observera que Schopenhauer est le seul philosophe — nous ne parlons pas ici de la psychologie scientifique moderne — qui nous fournisse une interprétation de ce que les chrétiens appellent conversion. Lui-même, d’ailleurs, nous déclare que sa doctrine n’est que le corollaire philosophique, le commentaire rationnel des vérités profondes que le christianisme dissimule sous un appareil mythologique. Il n’est pas question d’exa-