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la pensée de schopenhauer

même quand sa passion, exclusivement concentrée sur un unique objet, le persuade qu’il s’assurera par sa possession un bonheur sans pareil. Aussi tout amant, une fois cette passion satisfaite, éprouve-t-il une étrange désillusion, et s’étonne-t-il de n’avoir point trouvé ce bonheur unique qu’il avait si passionnément convoité, mais cela seulement qu’il pouvait attendre de toute autre satisfaction sexuelle. C’est que ce désir qui l’enivrait jusqu’alors est aux autres désirs humains comme l’espèce est à l’individu, c’est-à-dire comme l’infini est au fini ; mais parce que la satisfaction de ce désir ne profite en réalité qu’à l’espèce, elle demeure, comme telle, étrangère à la conscience de l’individu, qui, porté par un Vouloir supérieur, se trouve avoir servi, au prix de tous les sacrifices, une cause qui n’était pas la sienne. Ainsi tout amant, le grand œuvre accompli, se sent en quelque sorte mystifié ; car l’illusion s’est évanouie, qui faisait de l’individu la dupe de l’espèce.

L’intensité de l’amour s’accroît dans la mesure où cet amour s’individualise. La complexion corpo-