Page:Schopenhauer - La Pensée, 1918, trad. Pierre Godet.djvu/29

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introduction

miner ici dans quelle mesure il dit vrai, encore moins de prétendre que sa conception du christianisme est la seule possible. On nous répondrait trop facilement, entre autres, qu’elle ignore presque entièrement la figure réelle et historique du Christ, ce qui tient sans doute en partie à son excessif dédain de toute histoire. Mais on est bien obligé de remarquer que cette conception saisit, comme aucune philosophie et même aucune théologie ne le fait, le problème chrétien à sa racine, à savoir dans le fait même de l’existence. Ici, il ne s’agit pas de temps et de lieu, d’histoire ou d’évolution, de personnes ou d’événements, de dogmes, de croyances, de moralité, de perfectionnement, de bien ou de mal social. Il s’agit de l’homme même et de l’homme seul, ramené à l’éternité de sa nature originelle et foncière, et qu’on place en face d’un impitoyable tout ou rien, d’une unique et tragique alternative : ou ce monde, ou cela… qui « n’est pas de ce monde ». Or, comment ne pas voir que cette alternative coïncide singulièrement avec celle incluse en d’autres paroles, à savoir les paroles les plus typiques et les moins ambiguës de celui-là même dont tous les chrétiens se réclament ? En tous cas, il n’est pas sans intérêt de confronter avec le christianisme des chrétiens, qui paraît aujourd’hui, dans ses manifestations visibles, essentiellement préoccupé de se conformer aux « exigences de la vie moderne », le christianisme intransigeant et combien inactuel, inopportun, peu « pratique » ! du philosophe « incrédule ».

On dira sans doute que le christianisme est une religion toute de vie, d’action et d’affirmation joyeuse, et qu’ainsi il n’a rien à voir, malgré certaines apparences, avec les idées d’un penseur radicalement pessimiste et nihiliste. Nous ne saurions discuter ici cette question. Notons seulement, sur le pessimisme, que Schopenhauer répondrait lui-même, et peut-être avec lui l’histoire, qu’il est le critère et la condition inséparable de toute philosophie et de toute religion profonde ; qu’il est en particulier l’âme même du christianisme, dans la mesure où